Le moment délicat des présentations professionnelles
Il paraît que lorsque l’on rencontre quelqu’un pour la première fois, la première question posée en France est “Qu’est-ce que tu fais dans la vie”, alors qu’aux Etats-Unis on demandera d’abord “d’où viens-tu ?”.
En tant qu’américaine vivant en France, je dois dire que je préférerais qu’on me pose la version américaine. Je me suis en effet retrouvée plusieurs fois à différents dîners ou apéros, à devoir appréhender le moment où le tour de table allait inévitablement me rattraper, et où j’allais devoir répondre “je suis praticienne de la méthode de Feldenkrais”. Je savais pertinemment que la phrase qui suivrait serait “Felden-quoi?”. Dans ces moments, je me sens bizarrement en phase avec celui qui doit expliquer qu’il fait de la physique de la matière molle. Je me dis que moi aussi j’aimerais pouvoir répondre “Prof”, “Architecte”, ou “Infirmier”; et être immédiatement compris de tout le monde.
Ce n’est pas que je sois gêné de parler de ce que je fais. C’est plutôt qu’à mon sens, expliquer véritablement ce qu’est le Feldenkrais réclamerait sans doute une dizaine de minutes. Or, je suppose que les gens ne m’ont pas invité à dîner pour que je puisse faire mon exposé sur la méthode.
« Le Feldenkrais, une sorte de… »
J’ai tenté différentes stratégies pour aller plus vite. “Je pratique une sorte de kinésithérapie alternative”. “C’est une sorte de médecine douce, pour les personnes qui ont des douleurs, ou pour n’importe qui d’ailleurs…”. “C’est un peu comme l’ostéo oui…”. Un soir où j’étais fatiguée, j’ai même tenté de dire “Je suis prof de yoga”, espérant que la conversation puisse rapidement passer à autre chose. Evidemment, mon interlocutrice m’a répondu “Ah mais j’adore le yoga. Tu fais du Hatha ou du Ashtanga ?”.
Faire la comparaison avec quelque chose que tout le monde connaît (l’ostéo, le kiné…) a été parfois pratique pour la conversation, mais je n’étais toujours pas satisfaite de mes réponses. D’abord, parce que je ne suis pas kinésithérapeute, ni ostéopathe, et ensuite parce que le Feldenkrais, à ma connaissance, propose une approche très différente du corps que ces méthodes. Il n’était pas non plus satisfaisant de proposer une réponse fondée uniquement sur les bénéfices attendus de la méthode (“C’est une méthode qui permet d’avoir moins mal au dos”), car je sais que les bénéfices peuvent être de nature très variées, et que la méthode peut être utile à des personnes qui n’ont a priori aucune douleurs, aucune difficulté dans leurs mouvements.
Assumer ce que je fais
J’ai fini par réaliser qu’il fallait que j’assume que le Feldenkrais n’était pas une “sorte de…”. Pour véritablement intéresser mes interlocuteurs à cette méthode qui me passionne et que je veux faire connaître, je devais la décrire comme une méthode ayant sa propre identité, et ses propres mérites. Après tout, personne ne parle du yoga en disant “c’est une sorte de gym”.
J’accepte aujourd’hui de prendre le temps de dire : “je suis praticienne de la méthode Feldenkrais. C’est une méthode où on travaille sur le mouvement et la conscience du mouvement : on s’appuie sur la plasticité neuronale pour permettre à notre corps de trouver des manières de bouger ou de se tenir au repos qui soient plus efficaces, plus confortables et logiquement moins douloureuses. Ça peut se pratiquer de manière collective : dans ce cas je guide les participants dans la réalisation d’une séquence de mouvements doux, mais précis. Ça peut aussi prendre la forme de séance individuelle où j’effectue des manipulations sur la personne, toujours dans le but d’améliorer son mouvement”.
C’est sans doute un exposé un peu long pour une présentation rapide à l’apéro, mais au moins c’est une réponse précise, dans laquelle je me reconnais pleinement. En m’entrainant à expliquer cela avec conviction et passion, j’espère que les 10 minutes d’exposé passent vite pour ceux qui m’écoutent. Et puis cela laisse du temps au physicien de la matière molle pour réfléchir à sa réponse.